samedi 25 avril 2009

Mohamed Abdel Halim, le fils d'Omdurman

Il est de tradition chez les apprentis nécrologues, quand un homme public disparaît, il devient plus grand et plus important qu'il ne l'avait été de son vivant. Souvent, on fait assaut de superlatifs pour le glorifier avant de le statufier. Le décès, le 16 avril à Khartoum, du Dr Abel Halim Mohamed a fait verser des larmes de crocodile à sa Majesté Hayatou VI, l'inamovible président de la Confédération africaine de football (CAF) lequel a rendu, comme il se doit, un "vibrant hommage" au disparu qu'il a décrit comme "un grand sportif ayant consacré tous ses efforts à la promotion du jeu et du sport en général en Afrique et dans le monde entier".
Le Dr Abdel Halim - que la terre lui soit légère - a manqué de boucler un siècle de vie : il avait vu le jour le 10 avril 1910 à Omdorman. Dipômé en médecine de la Kitchener School de Londres (1933) puis docteur ès-sciences en 1955, il est en 1948 membre du Royal College of Physicians en 1948, il dirigea l'hôpital d'Omdurman puis celui celui de Khartoum. Dès 1940, il enseigna à l'Université de Khartoum dont il présidera le Conseil. Une véritable sommité médicale dans son pays qui, rappelons-le, accédaà l'indépendance le 1er janvier 1956. Faut-il ajouter que le Dr Abdel Halim collectionna, de son vivant, les décorations et qu'il est parvenu à "survivre" politiquement à tous les régimes (civils et militaires) que le Soudan a connu depuis plus de cinquante ans.
Le "Physician" Abdel Halim, outre ses palmes académiques, se fera un nom dans le sport. Footballeur de niveau modeste, il va briller comme dirigeant. Jugez en : membre fondateur de la fédération soudanaise de Football, du Comité olympique soudanais, du club des Courses de Khartoum, de la
Scout and Girl GuidevAssociation, du Khartoum Basket ball club, du Sudan Jockey Club.
Il dirigea le footbal de son pays à plusieurs reprises (1953-1959, 1965-1973, 1977-1979) avant d'être nommé président honoraire de la Sudan Football Association (SFA). Il sera aussi président du Comité olympique soudanais de 1957 à 1959 puis de 1967 à 1975. Une carte de visite bien meublée, au plan national.
Mais l'ambition du Dr Abdel Halim ne s'arrêta pas aux frontières du Soudan. Le 21 juin 1954, à Berne, il représente la SFA au Congrès de la FIFA. On y débat de la représentation de l'Afrique et de l'Asie au Comité exécutif de l'instance mondiale. Par 23 voix contre 17, en dépit de l'opposition du Comité exécutif, le Congrès reconnaît que "l'Afrique possède une prganisation suffisante pour désigner son représentant au Comité exécutif". Le Dr Adel Halim intervient et affirme "qu'il n'est pas possible de former en Afrique une organisation continentale en tant que telle." Il n'accepte pas que " le Congrès soit habilité pour décider du moment où l'Afrique sera à même de désigner son membre au Comité executif." Raison selon lui, de la non constitution d'une confédération africaine. Il appuie, en fin de compte, la candidature de l'Egyptien Abdallah Abdelaziz Salem qui devient membre du gouvernement de la FIFA. Le Congrès recommande aux associations africaines affiliées à la FIFA de se préoccuper d'urgence de la création d'une organisation continentale qui aura pour mission de désigner son représentant au sein du Comité exécutif.
L'Union égyptienne de footall (UEF) et son président A.A.Salem prennent l'affaire en main. Ils rédigent un projet de statuts portant sur la création d'une "Confédération africaine de football" et le soumettent, dès le mois d'octobre à la FIFA. En dépit de sa disponibilité, le Dr Abdel Halim est court--circuité par le lobby égyptien. Il le sera à maintes reprises durant sa carrière.
Les 7 et 8 juin 1956, soit deux jours avant l'ouverture du XXXè Congrès de la FIFA, à Lisbonne, les délégués de l'Egypte, de l'Afrique du Sud et du Soudan (dont le Dr Abdel Halim) se réunissent à l'hôtel Avenida et mettent au point un double projet :
* Créer une Confédération africaine de football,
* Lancer en 1957, une compétition africaine réservée aux sélections nationales.
Le Dr Abdel Halim propose que son pays, indépendant depuis le 1er janvier, accueille la 1ère édition de l'épreuve. Il annonce à l'appui de sa démarche que les autorités soudanaises sont en train d'édifier un stade moderne à Khartoum. Son offre est acceptée. A.A. Salem entend mettre en jeu un trophée et demande que la compétition porte son nom. Le Dr Abdel Halim s'y oppose. La compétition s'appelera " Coupe d'Afrique". Elle sera dotée d'un trophée qu'offrira A.A. Salem, mais qui sera la propriété de la nouvelle Confédération.
Outre le lobby égyptien, le Dr Abdel Halim doit compter, dès février 1957, avec les ambitions de l'Ethiopien Ydenaktchewu Tessema qui sera, de fait, le vrai bâtisseur de la CAF. Omniprésent à Khartoum, Tessema déploie une indicible énergie pour participer à la rédaction des premiers règlements de la Coupe d'Afrique et aux travaux de la première assemblée générale de la CAF. Abdel Halim et Tessema s'allient pour contrecarrer l'hégémonie égyptienne mais ils ne peuvent pas empêcher l'élection à la présidence d'A.A. Salem qui installe, comme le stipulent les status de la CAF, le siège au Caire. En juin 1958, le général Abdelaziz Mostafa succède à A.A. Salem et le Dr Abdel Halim intègre le Comité exécutif de la FIFA. Un poste qu'il occupera de 1958 à 1962 puis de 1972 à 1980. Il sera coopté au sein du Comité olympique international (CIO) et y siègera de 1968 à 1982.
Le 10 janvier 1968, la VIIIè assemblée générale de la CAF se tient à Addis Abeba. Désavoué par les congressites, Abdelaziz Mosatfa perd la présidence que récupère ...le Dr Abdel Halim. C'est enfin la consécration pour le Soudanais.
Celui-ci affronte dès février 1970, une fronde menée par vingt associations nationales. Tessema rejoint les contestataires qui élaborent de nouveaux statuts et les proposent à l'assemblée générale qui se réunit le 22 février 1972 à Yaoundé. Ils sont adoptés et l'assemblée élit à la présidence de la CAF ...Tessema. Le Dr Abdel Halim ainsi désavoué, se contente désormais de remplir ses obligations à la FIFA. Il le fera sans vague, soucieux avant tout de préserver les privilèges du poste. De congrès en congrès, et d'assemblée en assemblée, il promène sa silhouette dégingandée et son regard coquin. Il laisse faire Tessema et le soutient dans toutes ses actions. Il se plie à l'autorité de Stanley Rous puis à celle de Joao Havelange.
La disparition de Tessema en août 1987 lui permet de sortir de l'ombre. Il assure l'intérim du défunt et annonce sa candidature à sa succession. Son programme électoral se résume à la liste exauhtive de ses médailles et des postes qu'il a occupés de 1938 à ...1988. Et curieusement, ses supporteurs distribuent une plaquette électorale où il apparaît serrant la main au ...pape Jean-Paul II. Le 8 mars 1988, à Casablanca, c'est un échec cuisant pour le Soudanais qui est nettement devancé par ses rivaux Folly Ekué et Issa Hayatou. Un Waterloo dont il ne se remet pas. Il devient à vie président d'honneur de la CAF. Certes, il ne ratera aucune réunion , ni ne refusera aucune invitation, mais ne sera que poliment écouté sans plus. Cloué sur une chaise roulante, il assistera en septembre 1999 à l'inauguration du nouveau siège de la CAF, au Caire. Ce sera pratiquement sa dernière apparition publique. Le 7 février 2007, il est absent aux cérémonies commémoratives du 50è anniversaire de la CAF organisées à Khartoum.
Le Dr Abdel Halim Mohamed était un bon vivant. Sensible à la bonne chair, la sensualité à fleur de peau, la langue châtiée et l'esprit d'une étonnante vivacité. L'homme était d'une compagnie agréable. Le dirigeant d'un conservatisme bien décevant.


jeudi 16 avril 2009

Un "sommet" ordinaire

Les passions sportives ne sont pas d'anodines émotions collectives mais bel et bien l'expression d'une pathologie sociale endémique. Pour s'en convaincre, un détour s'impose par le stade du 7-novembre à Radès , Tunisie. Le 15 avril, l'enceinte accueillait un "match à haut risque" opposant l'Espérance sportive deTunis (EST) à l'Etoile sportive du Sahel (ESS) pour le compte des quarts de finale de la Coupe de Tunisie. Deux grands clubs locaux qu'oppose depuis un demi-siècle une rivalité sportive exacerbée. "Passionnés", "mordus", "fanas", "accros" des deux camps s'étaient mobilisés pour le nième duel au sommet. Une prétendue "fête" du ballon qui a nécessité une lourde présence des forces de l'ordre et un quadrillage policier impressionnant de l'espace sportif. On était en effet loin du scénario idyllique du "fair-play", du "respect de l'adversaire"et de "l'effervescence ludique" tant inventés par les idéologues de la "paix des stades".
Certes, il n' y a pas eu d'affrontement physique ou de rixe entre supporteurs mais quel déluge de violence verbale, de vociférations partisanes, d'insultes sexistes. "A propos de rivalité, commenta un quotidien local, les deux galeries (de supporteurs) ne se sont guère épargnées en se traitant de tous les maux. A la limite, c'était excessif (sic) mais prévisible (re-sic)." Et d'ajouter : "Avant le coup d'envoi de la rencontre, la provocation et les hostilités commencèrent..." Un "climat viril" et des "émotions débridées", somme toute, le tout pimenté par le régionalisme identitaire.
Sur la pelouse, les vingt-deux acteurs se livrèrent une bataille musclée d'où était banni le JEU. L'arbitre hollandais Eric Brahamhaar n'eut pas l'occasion de ranger son sifflet. Il siffla pratiquement une irrégularité sur chaque "action" tant les joueurs des deux camps se "défonçaient" dans la course à la faute: coups francs à profusion, actes d'anti-jeu répétés, simulations, tirages de maillot, provocations y compris de la part des deux bancs techniques. Une parodie de foot dont les maîtres d'oeuvre sont le Tunisien Faouzi Benzerti (EST) et le Français d'origine germanique Gernot Rohr(ESS). Deux "techniciens" tristes, sans charisme. Deux champions de la langue de bois abonnés au faux réalisme.
Un but de raccroc, consécutif à un coup de pied arrêté, obtenu de la tête par Wajdi Bouazzi, à la45ème minute, donna la victoire à l'Espérance. Une réussite adverse qui déclencha l'ire des supporteurs étoilés. Et ceux-ci ne se privèrent pas de lancer des projectiles divers (bouteilles vides, sièges arrachés, éviers!) sur le terrain...
Une belle "fête" "électrique et spectaculaire" (selon les mots du quotidien Le Temps). On a la "culture foot" que l'on mérite.

vendredi 3 avril 2009

"On ment pas, on triche pas, on vole pas"

Samedi 28 mars, le championnat d'Afrique des moins de 17 ans bat son plein en Algérie. La commission des Compétitions des Jeunes de la CAF se réunit sous la présidence du Tunisien Slim Aloulou (seul membre non élu du Comité exécutif de la CAF). Elle examine des réserves déposées par l'équipe du Zimbabwe contestant la qualification du joueur nigérien Boubacar Talatou. Celui-ci a fourni un document d'identité où l'année indiquée de sa naissance est 1992. Or les documents présentés à la CAF, lors de l'instruction des réserves, indiquent que Talalou est né en ...1987. La fraude est établie et l'équipe du Niger est disqualifiée. Elle est remplacée en demi-finale par celle du Malawi. Cette sanction constitue une première pour un tournoi final de jeunes. Mais ce n'est pas la première fois qu'une affaire de tricherie entache un championnat d'Afrique des jeunes.
On se souvient qu'en janvier 2003, à l'occasion des préliminaires du Championnat d'Afrique des moins de 17 ans, le Kénya avait réussi l'exploit d'éliminer les Black Starlets du Ghana. Les officiels ghanéens ayant émis des réserves sur l'âge réel des joueurs kényans, le ministre kényan des Sports, Najib Balala, prononça après enquête, la dissolution de la sélection des moins de 17 ans dont deux des membres lui ont confessé qu'ils ont plus de vingt ans et ils ne seraient les seuls d'après Bob Munro, le président du club Mathare United (club récompensé en 2001 par La CAF pour sa politique de formation des jeunes!!!).
Le 31 mars 2003, l'instance dirigeante du football africain exclut pour deux ans, le Kenya de toutes les compétitions de jeunes et suspendit pour trois ans Hussein Swaleh, secrétaire général de la Fédération kényane pour falsification de documents.
Auparavant, le 6 février de la même année, à Lagos, le ministre des Sports nigérian déclarait : "Nous avons et depuis longtemps aligné dans les compétitions de jeunes, des joueurs dont l'âge réel dépassait celui-ci fixé par les règlements. Ces pratiques n'ont pas aidé notre football et nous devons les combattre." On se souvient que le Nigeria avait remporté le Championnat du monde de la FIFA pour les moins de 17 Ans en 1985 et 1993 et a été finaliste en 1987 et 2001. Et qu'il atteint la finale du Championnat du monde pour les moins de 20 ans en 1989 et 2007. On n'oublie pas aussi qu'en 1989, la FIFA avait suspendu le Nigeria pour deux ans de toutes les compétitions de jeunes suite à une tricherie sur l'âge des joueurs Siasia Samson, Uwe Andrew et Sadi Dahiru.
Commentant l'aveu de son ministre, Kashimawo Laloko, ancien directeur technique de la Nigeria Football Association (NFA), affirma que " les contre-performances des Super Eagles lors du Mondial 2002 s'expliquent par l'âge avancé des vedettes de la sélection qui ne correspond à leur âge "officiel". "Certains, ajouta-t-il, flirtent même avec la quarantaine!"
Toujours en 2003, le 28 mars, à Accra, le ministre ghanéen de la Jeunesse et des Sports, Edward Osei-Kwaku est interpellé au Parlement sur la médiocre performance (élimination dès le premier tour) des Black Satellites lors du Championnat d'Afrique pour les moins de 20 ans disputé au Burkina Faso. " La contre-performance, répondit-il, découle de la décision de la Ghana Fooitball Association (Gafa), de ne recourir, désormais, qu'aux services de joueurs dont l'êge réel correspond aux conditions d'éligibilité fixées par la CAF et la FIFA. Dorénavant, nous privilégions les valeurs du sport, à savoir l'honnêteté, le fair play et le respect des lois et des règlements." Il était temps! Et le ministre d'ajouter : " La Gafa avait pris l'habitude de sélectionner des jeunes dans les clubs des divisions inférieures puis d'assurer pendant cinq ans leur préparation. Malheureusement, ces derniers temps, suite au conflit opposant la Gafa au club Tudu Mighty Jets, il n' y a eu de compétition pour ces divisions. On a alors fait dans lacomplaisance et sélectionné beaucoup de joueurs peu talentueux qu'on a dû ensuite renvoyer." Trois jours après ces déclarations, la Gafa était récompensée par la CAF pour sa "politique de formation des jeunes(sic)
Rappelons que le Ghana a remporté en 1991 et 1995 le championnat du monde des moins de 17 ans dont il a été finaliste en 1993 et 1997. Il a été aussi finaliste du Championnat du monde pour les moins de 20 ans en 1993 et 2001.
Ainsi donc, par les voix de leurs ministres des Sports, les deux africains les plus titrés dans les compétitions mondiales reconnaissent qu'il y avait eu des pratiques de tricherie sur l'âge de leurs joueurs. Et il semble qu'ils ont fait école : de nombreux observateurs n'hésitent à mettre en doute l'âge "officiel" des jeunes Gambiens, champions d'Afrique des moins de 17 ans en 2005 et récemment le 2 avril 2009, à Alger.
Face à ce fléau, les instances dirigeantes bottent en touche : " Que voulez-vous faire, répondent-elles, lorsque les fédérations présentent des passeports officiels en règle?" Cet échappatoire tord le cou à l'éthique du sport. Et ceux qui ont le front de "moraliser" et de sanctionner lorsque la tricherie est confirmée par des faits probants, se bousculent pour distribuer des trophées aux vainqueurs de compétitions dont les acteurs conscients, ou à l'insu de leur propre gré, ont triché sur leur âge pour gagner.
N'y-a-il pas une hypocrisie à s'élever, avec une indignation affectée contre les falsifications d'âge tout en continuant à organiser des compétitions qui les répandent? On ne sanctionnant que les effets, ne préserve-t-on pas les causes? Si l'on veut éradiquer la tricherie, il n'y a pas moult solutions : ou bien on supprime les compétitions avec catégorie d'âge, ou, à défaut et dans le souci de les "réguler", on exige comme condition d'engagement dans les compétitions internationales, l'organisation pour chaque association nationale de compétitions régulières de jeunes. Comment, en effet, une association nationale qui n'organise sur son territoire ni des championnats pour les moins de 17 et de 20 ans, ni de compétitions scolaires, peut respecter les règlements édictés par la CAF et la FIFA?
Dans le cadre du programme GOAL, la FIFA est en train de fournir aux fédérations nationales une assistance informatique de haute gamme et ce dans le but de gérer les licences des joueurs. Une fois le système installé et les données enregistrées, il sera possible de suivre l'itinéraire de chaque licencié tout au long de sa carrière. Les falsifications d'âge seront plus facilement détectables par la FIFA. L'informatique permettra sans doute de limiter la tricherie mais il n'est pas certain qu'elle l'éliminera totalement.
Dans les années 1993-2001, du temps où Jean-Marc Guillou dirigeait et animait à Abidjan l'Académie Mimosifcom, était fixé au mur du réfectoire,à Sol Béni, cette formule : " On ment pas, on triche pas, on vole pas"! A méditer par tous les décideurs du football.

Faouzi Mahjoub