jeudi 10 décembre 2009

En panne de stars

La Fifa a rendu publique la liste des cinq nominés qui seront en compétition pour le titre de "Meilleur footballeur" de l'année 2009. Pas de surprise, on y trouve trois Barcelonais champions d'Europe : l'Argentin Lionel Messi et les Catalans, Iniesta et Xavi, et deux vedettes du Real Madrid, le Portugais Critiano Ronaldo et le Brésilien Kaka. Et ni Eto'o, ni Drogba, comme il fallait s'y attendre.

C'est encore une belle claque pour les zélateurs inconditionnels du fooball africain que les "trésors de l'Afrique" émerveillent béatement. Samuel Eto'o est sur la brèche depuis les jeux Olympiques de Sydney en 2000 et Didier Drogba évolue au top-niveau depuis 2004. Ses deux attaquants masquent des réalités peu enthousiasmantes. A l'exception des Académiciens ivoiriens (Yaya Touré, Aruna Dindane, Baky Koné, Didier Zokora et Kolo Touré), les joueurs de classe mondiale ne sont pas légion en Afrique.
Si l’usure de l’âge peut expliquer le crépuscule de certaines vedettes du ballon d’Afrique, elle n’ y est pour rien dans l’évidente pénurie de « phénomènes » de ce début de siècle. La situation relève du paradoxe : jamais, il n’ y a eu autant de joueurs expatriés, de professionnels africains en Europe et rarement, il y a si peu de cracks dans la lignée des Larbi Ben Barek Rachid Mekhloufi, Eusebio Da Silva, Salif Keita, Chérif Souleymane, Laurent Pokou, Théophile Abéga, Roger Milla, Tarak Dhiab, Rabah Madjer, Abedi Pelé, Joseph-Antoine Bell et autre George Weah.
Une première raison à ce paradoxe vient à l’esprit : l’exode prématuré et massif des talents.
En Afrique, jusqu’ à la fin des années 80, voici l’itinéraire d’un joueur doté de bonnes jambes et de bonne fortune : de son village, il passe à une ville de l’intérieur ; de la ville de l’intérieur, il passe à un petit club de la capitale du pays ; dans la capitale, le petit club ne peut faire autrement que de le vendre à un grand club ; le grand club asphyxié par les dettes le vend à un club plus grand encore d’un plus grand pays ; et finalement le joueur couronne sa carrière en Europe.
Dans cette chaîne, des intermédiaires souvent bénévoles ou peu gourmands. Jusqu’à son départ pour l’étranger, notre jeune surdoué a largement le temps de faire ses classes dans les compétitions locales ou internationales (Coupes d’Afrique des clubs ou des nations, Coupe du monde). Il s’identifie à un club local dont il devient la star. Il se forge un palmarès national. Et ce qu’il conserve de son enfance, c’est l’amour du foot pour le foot. Quel que soit l’enjeu du match qu’il joue, il s’amuse sur le terrain. C’est là qu’il extériorise sa joie de vivre, qu’il s’exprime totalement. Par là qu’il est un artiste avant d’être un professionnel. Jamais pour un joueur aussi célèbre que Milla, le football ne fut un véritable travail, la corvée qu’il fallait accomplir pour « faire un résultat » ou justifier un cachet.
Par les temps qui courent, le foot est devenu une industrie d’exportation, qui dédaigne le marché intérieur. Et afin d’assurer un drainage continuel de joueurs, cette industrie s’est intéressé au marché africain et l’a élargi. Elle réclame moins de joueurs confirmés mais plus de jeunes talents qui coûtent moins cher à l’achat et rapportent plus à la vente. Et cette « matière première » est fournie directement par le football de rue, les clubs de quartier ou les…centres de formation, de plus en plus en vogue. La chaîne traditionnelle est ainsi brisée. L’Afrique se fait « vampiriser » par une armada de maquignons qui ont pignon sur rue, se livre à une véritable traite humaine avec la complicité de dirigeants véreux ou de …parents sans scrupule et garde la part du lion. Et chaque échelon confirme et perpétue l’inégalité entre les parts, depuis l’état d’abandon des clubs de quartier dans les pays d’origine jusqu’à la toute puissance de ceux qui, en Europe, traitent les affaires du ballon au plus haut niveau.

Conséquences de cette fuite de talents, d’une part, les promesses que l’on peut entrevoir chez des jeunes supérieurement doués se réalisent rarement parce que, dès leur arrivée dans les clubs pros, leur personnalité est broyée par la machine de l’arrivisme et de l’ individualisme, leurs facultés de création sont étouffées par l’enseignement que leur imposent des entraîneurs - éducateurs formés à l’école du « réalisme »…et par les affligeants spectacles auxquels ils assistent et qu’on leur présente comme des sommets du football « moderne ». Combien de Mozart du foot (ghanéens, nigérians, guinéens, maliens, camerounais …) n’a-t-on pas assassinés de la sorte ? Et combien de champions du monde des moins de 17 ans n’ont pas connu l’échec parmi les professionnels ?
Et pour un Eto’o, un Yaya Touré ou un Seydou Keita qui ont réussi à s’en tirer dans l’entreprise du professionnalisme, combien, espérant suivre les chemins des vedettes proclamées et acclamées par le petit écran, se retrouvent à vingt ans désenchantés, amers…et surtout sans métier, prêts à accepter toute offre d’autres employeurs desquels ils sont à la merci. « Pour les jeunes africains, affirme l’ancien meneur de jeu du F.C. Nantes, le Tchadien Japhet Ndoram, c’est un rêve, un merveilleux rêve de gosse d’aller tenter sa chance Europe. Alors, quand j’explique qu’il faut travailler très dur pour réussir, on me regarde de travers. On interprète mal mes conseils. On pense que je suis un égoïste qui abîme les espoirs des autres. C’est si beau, si facile, le foot à la télé ! »

Les jeunes talents qui décident de patienter et de ne pas prendre, dans la précipitation, la voie de l’exode, n’échappent pas à un danger : celui que représentent les « grands entraîneurs nationaux » dont les méthodes consistent en général à copier ce qui se fait ailleurs. Il n’ y a pas si longtemps, l’Afrique n’avait pas d’école d’entraîneurs, pas de diplômes attribués par les mandarins de la science footballistique. Les entraîneurs étaient d’anciens joueurs qui tentaient d’inculquer aux jeunes les fruits de leur expérience. Sans pédantisme ni autoritarisme.
Au niveau des clubs, on constatait jusqu’à ces dernières années la même absence de « structures ». Le manque d’organisation, qui a longtemps caractérisé le football africain tant sur le plan technique que sur le plan général, lui a permis de jouir d'un bien inestimable : la liberté d' expression, la liberté de création sans laquelle on ne peut pas parler d'Art.
Un Roger Milla, un Abedi Pelé ou un Nwankwo Kanu ne sont pas les produits d’une école de football. Il n’en existait pas à leurs débuts au Cameroun, au Ghana et au Nigeria. Si leurs premiers entraîneurs avaient apprécié leur valeur en fonction de la force physique, comme le font aujourd’hui les sélectionneurs de maintes équipes de cadets ou de juniors qui disputent les championnats d’Afrique et du monde, ils n’auraient jamais été présentés aux entraîneurs de grands clubs. Tous deux comme d’ailleurs la plupart des footballeurs africains de leurs générations, ont joui de la liberté de jouer offensivement. Ce qui leur a permis de surclasser leurs rivaux et de devenir des stars du ballon. Des stars adulées parce qu’ils donnèrent au monde une image exaltante de leur art.
De leur exemple, leurs héritiers ne semblent pas s’inspirer. L’ère de l’empirisme l’a cédé en Afrique à celle du « football scientifique » que prêchent les professeurs d’éducation physique locaux « spécialisés » dans le foot et surtout les techniciens et coopérants européens importés par vagues. De leur action, s’est instauré, avec la bénédiction des dirigeants, le culte de la préparation physique. Le football, c’est désormais un travail ingrat et dur que les joueurs, jeunes ou non, doivent accomplir dans l’ordre et la discipline. La joie du jeu est le dernier souci des entraîneurs qui donnent la priorité au physique et privilégient les duels musclés et le combat aux dépens du déséquilibre collectif de l ’adversaire et de la construction. Faut-il dès lors s’étonner, que l’Afrique produise de moins en moins d’artistes du ballon et surtout d’ attaquants de classe mondiale et qu’elle fournisse, de plus en plus, le marché européen – très demandeur- , en combattants (citons Rigobert Song, Michaël Essein, Mamadou Diarra, Didier Zokora, Michaël Obi, Sulley Muntari, Achille Emana…)

L’importance croissante du facteur physique contraint les joueurs d’effectuer des efforts excessifs dans des matchs où l’intelligence a peu de place. Les faits prouvent que dans la plupart des cas, elle a des effets néfastes sur la musculature des joueurs (élongations, déchirures) qui permettent de prévoir un net raccourcissement de la carrière des professionnels africains surtout lorsque l’âge réel ne correspond pas à celui annoncé. Ce qui est loin d’être exceptionnel en Afrique.
Faire de l’argent tôt et vite, sans se montrer trop gourmand, tel est l’objectif de la majorité des expatriés qui n’hésitent pas à rompre prématurément avec leurs racines et leur environnement pour tenter de faire carrière. Ce drainage continuel enlève toute qualité aux compétitions locales et décourage le public, de moins en moins nombreux et de moins en moins fervent. Les gens désertent les stades et préfèrent voir des matchs…européens à la télévision. Quand arrivent les éliminatoires de la CAN ou de la Coupe du monde, les expatriés, disséminés aux quatre vents, font connaissance dans l’avion, jouent un instant ensemble et se disent au revoir sans que l’équipe ait eu le temps de devenir une véritable équipe.
Quand le Cameroun remporta, en 2002, à Bamako, son quatrième trophée continental, les journalistes unanimes célébrèrent l’événement, mais certains ne cachèrent pas leur nostalgie des merveilles d’autrefois. L’équipe de Rigobert Song et autre Patrick Mboma a certes pratiqué un football efficace mais a été avare de poésie : un football beaucoup moins …camerounais que le football de 1984, 1988 et 1990, quand les sélections d’Abéga, Mbida, Nkono, Milla et autre Bell avaient été couronnées après avoir joué en transe. Plus d’un parla de crise de talent, et plusieurs commentateurs accusèrent le style de jeu, gage de succès, certes, mais sans magie, imposé par l’entraîneur de l’époque, Pierre Lechantre.
Mais il y a un fait révélateur lui aussi, qui fut à peine mentionné : ces équipes du passé étaient formées à 100% de joueurs qui ont joué et gagné leurs galons au pays, dans des clubs locaux avant, pour certains, de s’expatrier. Dans l’équipe de l’an 2002, onze titulaires sur onze font carrière en Europe. Avant de quitter le Cameroun, ils ne se sont jamais pleinement identifiés à un grand club local, Canon ou Tonnerre de Yaoundé, Union de Douala. Ils appartiennent à des employeurs lointains. La foule n’a plus qu’un contact physique éphémère avec ces champions. Ces idoles de circonstance, - le constat vaut partout en Afrique -, qui semblent toutes assez fâchées avec le génie. Lequel est, en football, l’aptitude à créer, inventer et à entreprendre ce qui paraît extraordinaire et surhumain. Ne rêvons plus.






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