jeudi 28 janvier 2010

Le mal ivoirien (1)

Les Eléphants de Côte d’Ivoire, favoris de la 27è Coupe d’Afrique des nations (Angola, 10 au 31 janvier) ont quitté la compétition dès les quarts de finale, éliminés par l’Algérie (3-2). Un échec qui a traumatisé les millions de supporteurs ivoiriens. Un échec qu’avait, dès le mois d’octobre, prédit le technicien français, Jean-Marc Guillou qui, de 1994 à 2001, avait formé à l’Académie Mimosifcom de Sol Béni, plus de 80% des titulaires de la sélection.

La Côte d'Ivoire sera présente au Mondial 2010. Quel commentaire ?
Cela m'apparaît tout à fait normal que la Côte d'Ivoire soit qualifiée pour le prochain Mondial. D'une part, il y a suffisamment de talents pour atteindre cet objectif et d'autre part, le groupe de qualification était assez facile.

Qu'est-ce qui a fait la différence pour les Eléphants dans le groupe E des éliminatoires?
La différence s’est faite essentiellement sur les qualités individuelles des joueurs. En effet, le jeu collectif a été réduit à la portion congrue.

Les Ivoiriens participeront à leur deuxième Coupe du monde en Afrique du Sud. Qu'en penser ?Ils devront se qualifier encore pour 2014, après ce sera probablement le début d'une grande éclipse.

Au Mondial 2006, la Côte d'Ivoire n'avait pas franchi le premier tour. Pourquoi ?
Il est rare que dès la première Coupe du monde, une équipe réalise des exploits. Exceptionnellement, une équipe ivoirienne bien constituée, bien managée aurait eu largement les moyens de se retrouver dans le dernier carré.

Quatre ans après, le groupe est-il aguerri pour attaquer le Mondial Sud-africain ?
Normalement, cette génération de joueurs ivoiriens aurait dû gagner déjà deux Coupes d'Afrique. Elle devrait aller en Afrique du Sud avec plein d'ambition. En réalité, j'ai plutôt le sentiment que le jeu collectif se détériore au gré des entraîneurs qui passent. Ces derniers, non seulement n'apportent rien, mais ils entravent l'évolution de ce groupe par des choix techniques et tactiques douteux.

Les chances des Eléphants à la Coupe du monde 2010 ?
Si les choses restent en l'état, je ne la vois pas passer le premier tour, ni même gagner la Coupe d'Afrique en Angola.

Parmi les Eléphants qui disputeront le Mondial, 7 à 8 Académiciens figureront dans le onze type ivoirien….
Ils devraient être 9 ou 10. Certains joueurs tels que Yapi, ou Diaki et même Junior devraient être dans le groupe car le milieu de terrain comme il est composé, n'est pas équilibré et ne permet pas à l'équipe de prendre vraiment le jeu à son compte. Et les trois sont de très bons milieux.

Au début de votre aventure à l'Académie MimoSifcom, vous aviez prédit que les Académiciens allaient disputer les Jeux olympiques et la Coupe du monde. C'est désormais chose faite.
D'où vous tiriez-vous cette assurance ?
C’était évident pour quelqu'un qui connaît vraiment le football. Comme il est évident que, dans 6 à 8 ans, la Côte d'Ivoire ne comptera plus pour grand’ chose sur l'échiquier du football africain et, à plus forte raison au niveau du football mondial. Je peux prédire aussi pour les mêmes raisons que dans le même intervalle de temps, des nations comme l'Algérie, le Mali, l'Egypte ou le Ghana, vont commencer à dominer sérieusement le football africain. Et cet état de fait va s'aggraver dans les années à venir.

Vous êtes vraiment à l’origine des succès du football ivoirien ?
Quand on a dirigé la formation de 80% des titulaires de l’équipe nationale (on aurait espéré 90 voire 100% car, même sans Drogba, l'équipe demeurerait très bonne), on est forcément responsable de leur réussite que ce soit en club, ou en sélection. Je suis toutefois convaincu que l’équipe sera meilleure dans les dernières années, lorsque certains des cadres académiciens auront acquis suffisamment de maturité pour s'affranchir des responsables qui les entourent, que ce soient des techniciens ou des dirigeants. Et surtout si Drogba n'est plus là car devenu un peu âgé.

Que penser des entraîneurs qui, de puis 2005, se sont succédé à la tête des Eléphants ?
Une belle galerie d'incompétents chaperonnés par des dirigeants n'y connaissent rien du tout.

Un mot sur l'actuel coach de la sélection ivoirienne, Vahid Halilhodzic.
Dans le peloton d’incompétents recrutés par le président de la Fédération, Jacques Anouma il arrive en tête. Avant lui, l’Allemand Stielike avait fait aussi très fort dans la… bêtise.

Comment jugez-vous la gestion de l'équipe par Vahid ?
Mauvaise. Il se plaît à répéter aux joueurs qu'ils n'ont rien gagné, leur donne des consignes et organise son équipe en n'ayant aucune envie qu’elle maîtrise le jeu. Quand on sait que le travail principal d'un entraîneur est de mettre son groupe en confiance et que celle-ci s'acquiert par des bonnes performances (alliant le résultat et la manière) mais aussi qu'elle se communique à un groupe par l’entourage, Halihodzic est complètement à côté de la plaque.

Le niveau actuel du football ivoirien ?
L'analyse est simple mais dramatique. Le football, au niveau local n'intéresse plus personne. Seule l'équipe Nationale A, attirée du monde au point que des petits malins veulent en tirer profit à tout prix même à celui de la vie des supporteurs. Certains pensent qu'avec le professionnalisme, le niveau pourra s'améliorer. C'est un leurre, ce n'est pas un statut qui peut faire grand-chose. Ce sont des hommes compétents, courageux et qui vont au bout de leurs idées. Aucun dirigeant ivoirien parmi tous ceux que je connais, ne possède ne serait ce que deux de ces qualités.

Satisfait de l'utilisation des Académiciens dans les différentes sélections ivoiriennes ?
Non, ils sont très mal utilisés. Cela provient certainement du litige qui m’oppose au président de l’ASEC, Roger Ouégnin. Et Jacques Anouma, par opportunisme politique, a pris son parti. En 1999, avec des jeunes joueurs d'à peine 18 ans de moyenne d'âge, nous avions remporté la Supercoupe d’Afrique des clubs après une démonstration de jeu collectif. Dix ans plus tard, qu'on fait les dirigeants ivoiriens d'une génération qui, entretemps, a été renforcée par les Académiciens des promotions 2 et 3 comme Eboué, Yaya Touré, Arthur Boka, Kalunho, Gervinho: rien hormis deux qualifications pour la Coupe du monde dont l'une, la première, a été très chanceuse.

Que devient Jean-Marc Guillou après son départ, en 2001, d'Abidjan ?
Je suis en pleine forme et toujours aussi passionné par le football. J'ai beaucoup travaillé depuis 2001. J'ai, en Belgique, mené à bien un projet très difficile en ayant pris la direction d'un club condamné au dépôt de bilan. Je l'ai fait pour promouvoir le plus possible de joueurs formés à l’Académie, et aussi pour me sortir d'une situation délicate. Je savais depuis l’an 2000 que Roger Ouégnin ne respecterait pas notre contrat et il fallait me dégager de ce piège pour espérer avoir quelques retours sur un travail de dix ans. Bref, au terme d’un joint-venture (2006), Beveren était redevenu sain financièrement, beaucoup d'Académiciens ont été promus et j'ai ouvert, en 2005, une nouvelle structure de formation en Thaïlande en 2005. Depuis mon départ, Beveren est redescendu en seconde division et le club est à nouveau très endetté. Depuis 2006, la société que j'ai créée en l’an 2000 a ouvert six autres structures dont une à Bamako qu'elle finance à 80%. Je ne manque pas de projets.

Votre rupture d’avec Roger Ouégnin, un gâchis pour le football ivoirien ?
Oui, mais aussi pour cette génération d’Académiciens qui aurait du être un candidat potentiel au titre mondial. Pourquoi aviez-vous quitté Sol Béni ?Ce serait trop long. J'ai perdu beaucoup d'argent. Mais celui qui a perdu le plus, c'est Roger Ouégnin. S'il m'avait écouté, il serait en passe de postuler à la présidence de la FIFA ! Il restera président d'un club du niveau de CFA en France. Ce litige n'est toujours pas définitivement réglé. J'ai proposé plusieurs fois à mon adversaire de porter l'ensemble du dossier devant le Tribunal arbitral du Sport à Lausanne. Mais je comprends qu'il appréhende cette démarche et la refuse, car il sait qui de nous deux, est le voleur.
Quelle comparaison faites-vous des différentes promotions des Académiciens ivoiriens ?
La "Johan" et la "Armando" sont quasi équivalentes. La promo 3 est un peu moins forte. Je m'en étais moins occupée mais certainement qu'elle recélait moins de talents.

Certains Académiciens d'Abidjan comme e Zézéto, Joss, Badjan, Junior, Tony, Patceco, Gyapi, Né Marco et Arsène... n'ont pas connu une carrière à la dimension de leur talent ?
L'échec relatif de certains Académiciens est à trois facteurs : leur manque de puissance physique, leur faiblesse au niveau mental mais aussi à l'incompétence quasi générale des entraîneurs professionnels d'Europe.

Quels sont vos rapports avec les Académiciens ?
Bons, voire très bons bien que parfois éloignés dans la distance et le temps. Ils gardent tous un très bon souvenir des moments passés ensemble à Abidjan, pour moi c'est le cas.
Que pensez-vous du niveau atteint par Yaya Touré ?Cela ne m'étonne pas. Je l'ai vite retiré de l'ASEC avant qu'ils ne l'abîment. Il a fait partie des premiers arrivés à Beveren. C'est en grande partie grâce à lui que nous avons réussi le projet Beveren. Je pense qu'il peut encore en faire plus notamment au niveau de l'Équipe nationale ivoirienne si elle se décidait à jouer au football.

Et les blessures à répétition de Baky Koné?
C'est un mauvais passage. Les attaquants sont les plus exposés aux coups. Tant que la FIFA refusera l'arbitrage vidéo, les petits attaquants seront pénalisés. Les arbitres dans le système actuel sont dépassés et probablement tous sous influence, pour ne pas dire plus. Il est grand temps de faire évoluer l'arbitrage.
Quels sont vos projets ?
J'en ai beaucoup. Mais parmi eux, l'un me tient particulièrement à cœur, celui de défendre un certain football quitte à me faire des ennemis parmi les responsables d'institutions qui ne font pas grand-chose pour que le football soit plus juste, plus transparent, et surtout plus beau...

Propos recueillis par Martial Gohourou, Fraternité Matin, Abidjan.

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