samedi 4 décembre 2010

Cheikh Joseph al-Thani et l'oligarque Blatter

A tous les incrédules qui pensaient que la Fifa était une institution respectable et respectée au service du Football, les récentes réunions de son Comité exécutif qui ont débouché sur la désignation de la Russie et du Qatar pour l'organisation des éditions 2018 et 2022 de la Coupe du monde, ont balayé toute illusion.

* La Fifa agit, même si elle n'en a pas légalement le statut, comme une entreprise commerciale qui vend un spectacle sportif au plus offrant. Comme toute multinationale, elle a pour objectif - même s'il est inavoué - : le profit.

** La vente et la commercialisation de son produit numéro un (la Coupe du monde) implique de se conformer à toutes les pratiques du commerce international qui n'excluent ni les commissions, ni les rétro-commissions.

*** Le comité exécutif (dont tous les membres sont élus par les confédérations continentales) se comporte de fait, comme un conseil d'administration aux ordres d'un président-directeur général salarié (élu lui par le Congrès et dont le mandat est renouvelable sans limite).
****Tous les membres du CE perçoivent, chaque année, une indemnité forfaitaire de 150 000 USD et, lorsqu'ils effectuent une mission ou participent à des réunions (tous frais payés), ils ont droit, chacun, à un per diem de 500 USD (l'épouse si elle est du voyage perçoit 250 USD).
L'on comprend que remporter un siège au sein du CE de la Fifa est la garantie d'une belle situation de rente. Et qu'importe s'il faut se soumettre aux desideratas du PDG.

* Depuis le règne du Brésilien Joao Havelange, le choix du pays organisateur de la Coupe du monde est déterminé par le président de l'institution. Joseph Blatter, depuis son avènement en 1998, n'a pas boudé la tradition (à part l'accident de 2000 lorsque, suite à la défection d'un membre néo-zélandais du CE, l'Allemagne l'emporta sur l'Afrique du Sud que soutenait Blatter). Lui aussi impose ses volontés. Pour les éditions 2018 et 2022, cette règle du jeu n'a pas changé.

** En 1998, le Qatar, par l'entremise de Mohamed Bin Hammam (il préside la Confédération asiatique de football depuis août 2002), a généreusement supporté Blatter dans sa conquête de la présidence de la Fifa. L'Emirat récidiva en 2002 et aida le Valaisan à décrocher un second mandat. Blatter, c'est évident, a une dette de reconnaissance envers le Qatar. Et le "remboursement" cette dette passe par un cadeau royal à la dynastie régnante des al- Thani : la Coupe du monde!
*** Première étape de la stratégie de Blatter: l'abandon, le 29 octobre 2007, du système de rotation de la Coupe du monde. Deuxième étape : le 20 décembre 2008, alors que jusque-là, le choix du pays organisateur a lieu six ans avant la compétition, le CE décida la mise en place d'une procédure de candidature simultanée pour les Coupes du monde 2018 et 2022! "Une décision, commentera curieusement, en octobre 2010, Mohamed Bin Hammamn, dictée par des considérations commerciales et je ne l'approuve pas. On va désigner, le 2 décembre 2010, avec douze ans d'avance, le pays qui accueillera la Coupe du monde 2022. C'est un délai trop long et nous allons engager les membres du CE qui seront en place en 2016. Choisir en 2016 pour le Mondial 2022 aurait été plus juste." Et il a raison : les exigences du foot-business et les calculs électoralistes ont dicté les choix de Blatter (il se représente, en mai-juin 2011, pour un quatrième mandat de quatre ans).

****Avril 2010, Blatter s'envole pour Doha. Histoire d'obtenir la "neutralisation " de Bin Hammam qui affiche des ambitions pour la présidence de la Fifa. Il est reçu par Cheikh Mohamed Bin hamad al -Thani, le fils de l'émir du Qatar : " Je suis, proclame-t-il, fortement convaincu que la Coupe du monde doit venir au Qatar (dont la candidature sera déposée le 14 mai à Zurich)!" et d'ajouter : " Le monde arabe qui compte vingt-deux pays mérite d'accueillir le Mondial."
Au regard des statuts de la Fifa, le monde arabe n'a pas d'existence officielle. La Fifa ne reconnaît que les regroupements géographiques et elle rejette toute référence à la race, à la religion et à la langue. Blatter fait sauter le tabou et tant pis pour les statuts! Hier, la Coupe du monde à l'Afrique noire, demain aux Arabes...?
Le président de la Fifa ignore peut-être que le Maroc fait partie du monde arabe. A quatre reprises, en 1988, 1992, 2000 et 2004, ce pays avait fait acte de candidature pour l'accueil de la Coupe du monde. Il s'était heurté, à chaque fois, à l'opposition farouche de Havelange puis de Blatter. Rappelons aussi, qu'en dépit de proclamations publiques, les monarchies du Golfe n'avaient pas soutenu avec conviction la candidature du Maroc, si elles ne l'avaient pas... sabotée.
*****Comme dans tout appel d'offres, la Fifa reçoit les dossiers de candidature. Elle dépêche ensuite des missions d'évaluation dans chaque pays candidat. Le Qatar obtient la faveur d'être inspecté après le 15 septembre 2010,c'est-à-dire après le mois de Ramadan et à une période où la température est plus clémente : 44° à l'ombre!
Les rapports des missions d'inspection ont une fonction purement formelle. Les votants ne s'y réfèrent pas ou n'en tiennent pratiquement pas compte. S'ils les avaient bien étudiés, ils n'auraient pas manqué de constater la supériorité des dossiers de l'Angleterre, du tandem Espagne-Portugal, de l'Australie et des Etats-Unis. Mais, leur choix obéit à d'autres considérations.

****** Autour de Blatter, d'après les habitués, se forment, le 2 décembre, deux noyaux d'électeurs. Le premier est en faveur de la Russie pour 2018, avec les 3 membres de la Concacaf (Jack Warner, Chuck Blazer, Rafael Salguedo), les Africains Issa Hayatou et Jacques Anouma, les Européens Franz Beckenbauer, Vitalyi Mutko et Marios Lefkaritis. De 9 le nombre des pro-Russie passe à 13 ( la majorité étant de 12 voix) avec la ralliement de Junji Ogura, Chung Mong Joon, Senes Erzik et Michel Platini. L'Angleterre qui n'a recueilli que deux voix a été " punie" parce que ses médias avaient révélé des affaires de corruption à la Fifa!
Pour l'édition 2022, se joignent à Blatter, les Asiatiques Bin Hammam et Worawi Makudi, les trois Africains Hayatou, Anouma et Hani Abou Rida (le Nigérian Amos Adamu étant suspendu pour trois ans), les trois Sud-Américains (Julio Grondona, Nicolas Leoz et Ricardo Teixeira) plus les Européens Angel Maria Villar Llonga et Michel Platini, soit 11 voix contre 3 pour les Etats -Unis et une pour l'Australie! Au troisième tour, les pro-qataris seront quatorze : avec le renfort de Junji Ogura, Chung Mong Joon, Senes Erzik et Lefkaritis. Les Etats -Unis ne recueilleront que 8 voix. Cette projection des suffrages tient la route même si le vote est secret.

******* Michel Platini aurait choisi de voter pour le Qatar sous la pression de Nicolas Sarkozy qui espère l'ouverture du capital d'Areva, le numéro un mondial du nucléaire au fonds souverain du Qatar et aussi l'achat par Qatar Airways de plusieurs Airbus. Quant à Zinedine Zidane, ambassadeur de Qatar 2022, il aurait perçu un million d'euros pour trois de lobbying.

******** Commentant les résultats du "vote", Blatter, parlant de lui à la troisième personne, a dit : " Le président de la Fifa est heureux car il est question de développement de la Fifa. Nous allons vers de nouveaux pays." Reste que la Russie et le Qatar ont présenté des arguments dont un de poids : l'argent. L'Emirat devrait dépenser 100 milliards de dollars pour construire neuf stades climatisés et modulables (en juin, il fait 50 degrés à Doha) et la Russie, 13. " Nous avons, assure Vladimir Poutine, une réserve d'or, 500 milliards de dollars de devises".

* Les choix du 2 décembre ne dissipent pas les soupçons de corruption qui planent sur l'institution faîtière du ballon. Depuis belle lurette, le foot n'est plus la première préoccupation de ceux qui le gouvernent. Et toute forme d'élection au sein d'une institution sportive internationale n'échappe pas au pouvoir des forces de l'argent. Le sport-business s'en f....de la culture de l'intégrité.


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