samedi 1 mai 2010

Welcome to South Africa 2010 (22) : Alexandra on my mind...

A lire et à méditer l’excellent reportage de Laurent Rigoulet dans l’hebdomadaire Télérama, daté du 1er mai 2010 et intitulé « Dans l’ombre de Johannesburg ».
Extraits : « Le ghetto d’Alexandra, « ville ténèbres » aux portes de la plus grande métropole d’Afrique du Sud, abrite une multitude de laissés-pour-compte. Le supporter de la Coupe du monde ne les verra sans doute pas …
(…) Un habitant d’Alexandra nous persuade de pousser jusqu’à la « frontière ». Au pied de la colline sur laquelle est perché ce ghetto noir, le plus vieux township de Johannesburg, les rues s’évasent, le silence s’étend, les rares passants sont noyés dans un morne décor. Une suite d’entrepôts décatis, un no man’s land d’industries en sommeil marque la séparation avec le riche quartier de Sandton, dont les tours scintillent au loin. Aux portes de la plus grande ville d’Afrique du Sud, la géographie de l’apartheid, qui créait des tampons en bordure des secteurs résidentiels n’a pas bougé.
(…)Sur les 500 hectares de maisonnettes et de bidonvilles d’Alexandra, certains disent être plus de 1 million. Les dernières statistiques recensaient 300 000 habitants alors que le quartier en abritait 400 000 dans les années de l’apartheid (dont les dernières lois ont été abolies en juin 1991). Les squatters se tassent où ils peuvent, les immigrés arrivent en masse des autres pays d’Afrique, le quartier enfle jusqu’à parfois exploser, comme lors des émeutes contre les étrangers qui sont parties de là à l’automne 2008*.
(…) « Pourquoi, dit Abednigo, un ancien habitant d’Alexandra, le gouvernement nous laisse-t-il vivre ainsi ? Notre quartier pourrit sur pied alors qu’on a construit des stades grandioses dont n ne saura que faire. Les gens sont à cran. Il y a environ 70% de chômeurs à Alexandra et bientôt les grands chantiers s’arrêteront, les entreprises de sécurité qui embauchent à tour de bras auront moins besoin de main-d’œuvre. Que se passera-t-il cet automne ? »
(…) On passe à Sandton par une volée d’échangeurs surplombant un parc où se retrouvaient, pour la pause déjeuner, les jeunes fleurons (black diamonds) d’une bourgeoisie noire qui a émergé dans les années post apartheid où l’espoir et les investissements flambaient de pair. Plus personne n’ y va ; Les Noirs fortunés vivent à l’abri, comme les autres. (…) Au début des années 1970, Sandton était encore une vaste plaine où l’aristocratie blanche s’était inventé un paradis de manoirs et de parcs verdoyants, de country clubs et de réserves d’oiseaux tropicaux. C’est aujourd’hui la capitale financière de l’Afrique du Sud, le siège de ses plus riches entreprises, d’une des plus vastes galeries commerciales de l’hémisphère Sud et des hôtels de luxe. On la traverse en voiture, d’un parking à l’autre. Paranoïa tous les feux rouges. La ville est bien gardée, surveillée, barricadée. Toutes les villas de Sandton sont des forteresses invisibles, cernées de hauts murs, de fils électriques, de caméras et de barbelés….
(…) La peur et la criminalité sont une affaire de tous les instants. (…) Devant les critiques de laxisme faites au gouvernement démocrate de l’ANC, Susan Shabangu, ministre de l’Intérieur, a fait monter la tension d’un cran en 2008 : elle a conseillé aux policiers de tirer à vue : « Vous devez abattre ces salauds s’ils vous menacent, vous ou la communauté. Vous n’avez pas à vous soucier des règles. J’en rends la responsabilité. »
(…) Khalo Matabane, jeune cinéaste noir talentueux vient de boucler le tournage d’un long métrage qui fait des allers-retours entre Sandton et Alexandra. Il l’a baptisé State of violence. L’histoire d’un homme d’affaires noir dont la femme est assassinée aux portes de sa villa dans les beaux quartiers (la plupart des victimes des meurtres en Afrique du Sud sont des Noirs). Le personnage parcourt les rues d’Alexandra à la recherche du meurtrier et se retrouve plongé dans la violence de son propre passé. « Le film sera sans doute mal reçu ici, dit le réalisateur, La fin est abrupte, très ouverte, et n’offre aucune perspective de réconciliation. Le débat sur la violence en Afrique du Sud est biaisé. On veut sans cesse la couper de ses racines politiques pour l’attribuer à une jeunesse qui aurait perdu la raison. Mais l’Afrique du Sud est un pays choquant, beaucoup vivent dans un état de pauvreté exténuant, et la brutalité fait partie de entre existence depuis des décennies. On a armé les jeunes pour combattre un Etat policier, et ceux qui commettent aujourd’hui des agressions ne sont pas coupés de la politique. Ils savent ce qu’ils font. Quand on marginalise une population à ce point, elle reviendra toujours vous hanter. »
(…) A chaque palier, des grappes de jeunes gens désoeuvrés nous demandent du travail ou de l’argent. Certains habitants d’Alexandra ont peur des Zoulous, solidement organisés qu’ils soupçonnent de mener des expéditions punitives contre les autres ethnies. « Le quartier était autrefois quadrillé par les organisations politiques, se souvient Abednigo, vétéran de la lutte contre l’apartheid. Il y avait des comités dans les cours, les pâtés de maisons, les rues…La résistance était féroce et armée, et nous avions un objectif commun. Aujourd’hui, l’ANC est au pouvoir et nous ne savons plus où est l’ennemi. Les associations ont perdu du terrain, la frustration grandit et les armes circulent encore sans que nous sachions comment et entre quelles mains. »

* En 2008, de violentes attaques ont visé les étrangers – Somaliens, Zimbabwéens, Congolais, Mozambicains…- qui sont venus s’installer dans les bidonvilles d’Afrique du Sud. Elles ont commencé à Alexandra le 11 mai et se sont étendues au reste du pays, faisant –officiellement – une vingtaine de morts dans les premiers jours et laissant des milliers de personnes sans abri.

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