vendredi 1 mai 2009

Histoire d'Epervier...

Jeudi 23 avril, le site de la FIFA affiche une image pour le moins insolite : Rock Balakiyem Gnassingbé, le président de la Fédération togolaise de football (FTF) tout hilare posant aux côtés de Joseph S. Blatter et Jérôme Valcke, respectivement président et secrétaire général de l'instance faîtière du football. Le colonel Rock visitait le siège de la FIFA à Zurich. Et il voulait remercier ses hôtes pour leur " action dans la résolution de la crise du football togolais".

L'image incongrue a dû choquer plus d'un sportif togolais et surtout tous ceux qui n'ont pas la mémoire courte. Tous ceux qui se souviennent de la campagne de l'équipe du Togo au Mondial 2006 et des frasques de Rock Gnassingbé en Allemagne. Frasques qui avaient, à l'époque, suscité l'ire des décideurs de la FIFA. " Et si c'était lui, écrivait Stéphane Regy, dans le quotidien parisien Libération , daté du 19 juin 2006, la vraie star de ce premier tour de Coupe du monde? Rock Gnassingbé, président omnipotent de la FTF, est à la base d'un des plus gros bordels jamais vus dans un tournoi de cette envergure : la démission d'un coach avant même le premier match de son équipe, puis sa réintégration, et enfin sa démolition en règle devant la presse. Petit rappel des faits : qualifiés cette année pour leur premier Mondial, les Eperviers togolais souhaitent négocier leurs primes, mais Gnassingbé refuse de transiger et leur fait une offre ridicule. Solidaire de son équipe, le coach allemand, Otto Pfister, démissionne avant le premier match, en signe de protestation. (...), Rock lâcha les chevaux, traitant publiquement Pfister d'"incompétent" et... "d'alcoolique"!"

" Alors, un fou, ce Gnassingbé? Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il ne fait pas l'unanimité chez lui. " Tout le monde veut sa tête, au Togo. Les Eperviers sont à la Coupe du monde, d'accord, mais ce sont les joueurs qui ont réalisé l'exploit, pas lui. En revanche, le fiasco actuel est sa responsabilité" explique Evelyn Gbenyedji, rédactrice en chef de La Gazelle , magazine sportif local. Rock est intouchable? Particulièrement bien né, il en effet rien de moins que le frère du président actuel du pays, Faure Gnassingbé, et, surtout, le fils de l'illustre Eyadéma, ex-président-dictateur, mort en 2005 après un long règne de trente-huit ans. C'est d'ailleurs papa Eyadéma qui lui avait donné son poste de président de Fédération de football en 1999. Le problème, c'est que l'intéressé l'occupe n'importe comment. " Rock gère la fédération comme son entreprise, le trésorier ne voit pas la couleur des chèques", se désole l'ancien ministre des Sports, Horatio Freitas."

" Rock Gnassingbé n'est donc pas doué pour occuper sa fonction, ça ne fait guère de doute. Il n'aime que le foot, le reste, il s'en fout. La politique, il s'en cogne. L'économie, pareil. Militaire de formation, colonel de grade, Rock n'aime pas en réalité la compagnie des humains, à qui il préfère les animaux. A Lomé, on raconte ainsi qu'il passe beaucoup de temps dans les élevages de rats et de lapins qu'il a fait éifier à la campagne. "C'est une personne bizarre, confirme Evelyn Gbenyedji. Il est instable." Caricature du dirigeant à l'africaine comme on ne pensait plus pouvoir en croiser, type un peu largué..."

En Allemagne, la "guerre des primes" ne fut pas étrangère au fiasco sportif des Eperviers. Le 16 juillet 2006, quatre membres de la FTF démissionnaient et dénonçaient "l'improvisation, l'impréparation et l'amateurisme" au sein de cette instance. La FIFA réagit. Elle dépêcha une mission d'inspection composée de MM. Jan Peters et Slim Aloulou avant d'ordonner l'organisation d'élections statutaires.

Lomé, 9 janvier 2007, l'homme d'affaires Tata Adaglo Avlissi bat nettement le colonel Rock (24 voix contre 8) et accède à la présidence de la FTF. Pour l'observateur de la FIFA, Jan Peters : " le vote fut d'une transparence complète et totale".
Mais sitôt installé, Tata Avlessi se heurte à l'hostilité du vice-président Mawulawoe Ameyi Komla Kuma, du secrétaire général, Espoir Komlan Assogbi et du trésorier Tino Adjete ainsi qu'à celle du lobby militaro-sportif proche de la famille Eyadema. Deux mois après son élection, Tata Avlessi est accusé, sans preuve, par la CAF d'avoir soudoyé un arbitre lors du championnat d'Afrique des moins de 17 ans. Il est suspendu puis radié à vie. Il saisit le Tribunal arbitral du sport (TAS) qui, le 11 mars 2008, le blanchit, le réhabilite et annule toutes les sanctions de la CAF.
La FIFA rétablit Tata Avlessi dans ses droits. Mais le clan Ameyi-Assogbavi-Adjete et les gradés du ballon ne désarment pas. Ils multiplient les manoeuves de blocage, téléguident une fronde des Eperviers contre le président élu de la FTF. Celle-ci devient ingouvernable. La FIFA est contrainte d'intervenir et le 21 octobre, à Zurich, elle reçoit Tata Avlessi et une délégation officielle togolaise. La décision est prise d'organiser le 18 janvier de nouvelles élections.

Le 18 janvier à Lomé, on reprend les mêmes et on recommence. Le nouvel processus électoral établi par la FIFA aborde son ultime étape : l'élection du nouveau président de la FTF. Un scrutin que supervisent les incontournables Jan Peters et Slim Aloulou. Trois listes conduites respectivement par Tata Avlissi, Winny Dogbatsé et...Rock Gnassingbé sont en piste et se soumettent au choix des 51 membres du corps électoral .
La candidature de Rock Gnassingbé - déposée hors délai, selon les médias de Lomé - a choqué tous les sportifs togolais. Beaucoup se souviennent de sa gestion calamiteuse des campagnes de la CAN et de la Coupe du monde 2006 : renvoi abusif de l'entraîneur Stephen Keshi, fronde des joueurs en Allemagne pour cause de guerre des primes, absence de transparence dans l'utilisation des fonds versés par la FIFA. On sait que les trois matchs disputés par les Eperviers au Mondial ont rapporté à la FTF la bagatelle de 2, 59 milliards FCFA. La FIFA chargea cle cabinet KPMG d'effectuer un audit des comptes de la FTF pendant le "règne" de Rock Gnassingbé. Elle n'aura accès à un aucun document comptable. Les résultats de l'audit sont inconnus à ce jour.
Patron des forces blindés togolaises et directeur -adjoint du port autonome de Lomé, Rock avait, dès janvier 2007 tourné le dos au football. Il entreprit, en décembre 2008, un retour en force avec le feu vert de son frère Faure, le soutien du président... gabonais Omar Bongo, du président de la CAF, Issa Hayatou et de certains membres du Comité exécutif de ...la FIFA.
Le pouvoir politique togolais par l'intermédiaire du ministre de l'Administration territoriale et des Collectivités locales, Pascal Bodjana organise la campagne de Rock et lui fournit la logistique de rigueur.
La veille du scrutin, les électeurs dont beaucoup sont des fonctionnaires de l'Etat sont regroupés dans un hôtel de Lomé et pratiquement "sequestrés". Ils sont soumis à forte pression. " Qui a a cru, peut-on lire le 30 janvier, sur le site togolais Le Rendez-vous, que Rock B. Gnassingbé reviendrait à la FTF après un triste séjour de 8 ans. (...) Il aura suffi d'entendre parler de 5 millions FCFA pour que les électeurs au dernier congrès de la FTF baissent l'échine. Toute honte bue, ils auraient vendu à crédit leur conscience à 5 millions FCFA. Mais l'acheteur n'a payé que 1, 3 million FCFA. Le reste est relégué aux calendes grecques. (...) Il faut dire que tout ceci n'est que le fruit de quarante années à l'école de la dictature du RPT (Rassemblement du peuple togolais). (...) La méthode a marché, Rock est revenu en brillot à la Fédé. Tata a plié bagage, mais les éternels fossoyeurs sont encore dans l'arène." Pour Liberté Tri-Hebdo , le retour de Rock à la tête de la FTF est "une surprise désagréable". Le Canard indépendant déplore "les méthodes de gestion du patron des blind"és lors de ses deux mandats qui n'ont pas convaincu les Togolais. (Et ceux-ci) doutent de sa capacité à mieux faire qu'avant. Sa gestion sans partage et son refus de présenter un bilan financier aux divers congrès organisés durant ses mandats constituent des sources réelles et justifiées d'inquiètude au sein de l'opinion nationale".
Comme de bien entendu, pour les observateurs internationaux, le scrutin du 18 janvier fut "transparent". A défaut d'être libre et démocratique. Mais qui s'en soucie?
Le 22 février, Rock fait démarrer le championnat national dans un désordre sans pareil. L'autorité de tutelle vole à son secours et fournit le nerf de la guerre : 13 clubs sur 16 recoivent chacun 10 millions FCFA. L'argent est déposé sur une table et Rock "Président de la République togolaise de football", sous les feux des projecteurs, remettait à chacun son lot. Le 28 mars, à Accra, la veille du match de Coupe du monde Togo - Cameroun, ce fut une nouvelle fronde des Eperviers qui réclamèrent leur prime du match Togo-Swaziland d'octobre 2008! Adebayor et ses coéquipiers sont conviés au Trésor Public pour toucher, des mains du ministre des Finances, Adji Ayassor, 2 millions de FCFA chacun! L'argent n'a pas transité par le président de la FTF. Le feuilleton Rock Gnassingbé continue.
Les leçons du retour au pouvoir du colonel Rock : la première, au Togo, comme partout ailleurs en Afrique, aucune institution sportive n'échappe pas au contrôle direct de l'autorité politique qui téléguide toute élection des dirigeants, choisit et impose ses candidats. Certes, l'organisation et le déroulement du scrutin peuvent être transparents, mais l'élection n'est jamais libre et encore moins démocratique. La politique du ventre en reste le moteur. La deuxième : on a tout loisir de gérer une fédération sportive comme sa propre entreprise, de ne rendre des comptes qu'à soi-même, l'impunité est garantie.

Faouzi Mahjoub

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