jeudi 14 mai 2009

Norbert Eschmann, fin de match

Grande figure du football suisse et du journalisme international , ancien collaborateur de Miroir du football, compagnon de route de feu François Thébaud, fondateur avec feu Eugène Njo Léa du syndicat des footballeurs professionnels françiais (UNFP), ami de l'Afrique, celui qui conjuguait de multiples talents (orfèvre, footballeur, entraîneur, homme de prese) est décédé hier, mercredi 13 mai dans une clinique de Lausanne à la suite d'une longue maladie. Il avait 76 ans.
" Un géant qui est parti. Pas un géant de Hollywood – encore que son noble visage d’Indien aurait pu lui valoir là-bas de grands rôles –, mais un géant d’ici, dont le rayonnement a largement dépassé les frontières de ce pays. Les anciens, les gens qui étaient des spectateurs dans les stades des années 50 et 60, savent quel footballeur Norbert a été au Lausanne-Sport, au Stade Français, à l’Olympique de Marseille, à Servette et en équipe nationale. En un temps où les joueurs suisses appelés par les clubs étrangers étaient rares, Norbert et son ami, son complice, son petit frère Philippe Pottier étaient devenus des étoiles. Des étoiles suisses dans le ciel de Paris, des étoiles offrant, par leur savoir si fertile, ce bonheur universel propre au football lorsqu’il est un jeu animé par des artistes certes talentueux, mais qui ont la passion de leur métier.
La précision de l’orfèvre. Les plus jeunes, ceux qui n’ont pas vu jouer Norbert Eschmann, doivent savoir aujourd’hui qu’il fut un footballeur pétri de technique fine et d’exigence sans cesse active, un joueur qui voulait et savait placer dans chaque passe qu’il effectuait en direction de quelqu’un d’autre, sur le terrain, toute la précision et l’imagination de l’orfèvre qu’il avait été dans son premier métier. Car, pour Norbert, une passe réussie était un geste de respect envers l’autre, oui, une simple passe avec un simple ballon était pour lui quelque chose qu’il voulait aussi juste que les vers d’un poème, ou que le mot qui change une phrase et lui donne tout son sens. Car le football, pour lui, était en fait l’empreinte de la vie.
Les phrases, justement, parlons-en! Norbert a travaillé avec ses mains (orfèvre donc), puis avec ses pieds (footballeur). Une fois sa carrière de joueur professionnel terminée, il allait montrer qu’il pouvait aussi – et comment! – la gagner avec son esprit, avec sa tête. Il devint journaliste, à 24 heures, puis, rapidement, chef de la rubrique sportive et, à ses côtés, quelques journalistes vécurent des années de vrai bonheur créatif. Dans ses écrits, toujours, une petite musique bien à lui. L’image, l’idée, la même vie qu’il donnait au ballon, il la donnait aux mots. Et si, sur le terrain, une passe ou un dribble faisait avancer vers le but, l’image, l’idée, le mot éclairaient, pour les lecteurs, ce que Norbert avait vu pour eux sur les terrains de football, dans les salles de boxe, du monde entier.
Sur ces terrains, dans ces salles, il humait la sueur, le poids des coups, la grâce des gestes, et derrière la sueur, les coups, la grâce, il humait les vies qui avaient mené sur ces stades et sur ces rings les hommes qui tentaient d’y grandir, mais si souvent d’y vivre et d’y survivre. Il le savait bien. Et il le contait si bien, comme il contait parfois avec un humour phénoménal chaque battement de cœur de sa vie.
Jouer, toujours jouerIl aurait pu en rester là. Goûter une vie sereine de journaliste renommé, estimé, influent, une vie d’ancien grand joueur – «les Seigneurs de la nuit», à la grande époque de la Pontaise –, salué dans la rue, mais non. La passion du ballon, donc du jeu, donc de la vie, était en lui. Norbert, jamais, n’a cessé de jouer. Avec des amis aux caractères bien costauds, des amis habités par le goût du beau football, du football qui ressemble à quelque chose, du football que l’on construit pour être plus heureux, Norbert Eschmann avait bâti le Lausanne Université Club. Il est sans doute, soit dit en passant, le seul joueur à avoir évolué dans toutes les ligues de ce pays, de la 5e à l’équipe nationale! Et quand il arrêta de jouer dans les petites ligues, dans la vraie compétition, il inventa avec les mêmes amis un peu plus gris, un peu plus lents, mais toujours tellement amis, d’innombrables petits matches auxquels il participait encore il y a quelques semaines, entre les chimios et les traitements qu’il dribbla longtemps avant d’enfin se reposer pour toujours.
Dans ces petits rendez-vous entre potes, la même volonté de jouer juste, de construire, de respecter le collectif, de conseiller, de faire progresser les autres, mais aussi la même volonté de gagner, comme si à chaque début de match une nouvelle vie recommençait. Et avec cela, cette merveilleuse mauvaise foi historique, incomparable, qui nous manque déjà, à nous ses amis petits footballeurs de rien du tout qui restons là, les jambes flageolantes, sans lui pour mettre un terme au petit match juste au moment où nous allions marquer, contre son équipe, le but égalisateur.
Norbert voulait jouer, gagner. Il n’a pas perdu en mourant hier, paisiblement. Quelle belle vie a eue, Norbert, une vie tissée de talents, d’amitiés, de succès, de passion. Savez-vous, jeunes gens, que, un jour en Angleterre, avec Lausanne-Sport, en Coupe d’Europe, Norbert tenta une bicyclette, marqua le but, splendide, mais s’assomma en retombant. Le stade tout entier, 30 000 personnes, resta debout à l’applaudir jusqu’à son réveil, deux minutes plus tard. Norbert ne se réveillera pas, mais les applaudissements viennent de
reprendre.'" (Philippe DUBATH, 24 heures, Lausanne)


"C'était un homme de débats, d'idées. Que d'arguments, que de bon sens! Et dans les débats, dans la vie et sur le terrain, Norbert était un homme de talent et de fair-play. Il va me manquer", a déclaré le président de la FIFA, Sepp Blatter.

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