lundi 5 juillet 2010

Welcome to South Africa 2010 (30) : l'hystérie Ghana

Les vuvuzelas de l’hystérie chauvine, nourrie par une indicible frustration collective et dopée par les complexes, ont vrombi à faire crever les tympans à l’occasion du quart de finale du Mondial Ghana –Uruguay. Un raz de marée de démagogie outrancière, de sensiblerie et d’exotisme frelaté a déferlé sur le continent et ailleurs, comme si le Ghana allait gagner la Coupe du monde. Comme si on avait oublié, que la CAN 2010 avait accouché d’un tournoi extrêmement faible, à tous les niveaux. Et comme si on voulait faire croire aux foules qu’il suffisait à tout joueur d’être Africain et d’avoir la peau sombre pour prétendre être un artiste du ballon.
Bien sûr que sportivement et uniquement sportivement, on aurait aimé que le Black Star dépasse, en Afrique du Sud, les performances du Cameroun en 1990 et du Sénégal en 2002 et gagne le droit de disputer une demi-finale. Mais le pouvait-il réellement et objectivement ?
Le devoir de mémoire oblige à se remémorer les matchs disputés par des équipes africaines en Coupe du monde et qui ont marqué les esprits et assuré la crédibilité du ballon d’Afrique. Citons Algérie – RF Allemagne et Italie Cameroun en 1982, Maroc – Portugal en 1986, Argentine – Cameroun, Cameroun – Colombie et surtout Angleterre – Cameroun en 1990, Nigeria – Espagne en 1998, France -Sénégal et Sénégal – Suède en 2002. Si vous avez l’occasion de brancher vos magnétoscopes et de revoir ces matchs, n’hésitez pas à les comparer avec les cinq rencontres disputées en Afrique du Sud par le Ghana. Si vous êtes amoureux du jeu et si vous connaissez bien le foot, vous vous résoudrez à conclure : il n’y a pas photo ! Et pour cause : le « spectacle » offert par le Black Star - si l’on n’a pas la fibre ultra - chauvine - n’engendre que peu d’émotion. Alors que leurs aînés algériens, camerounais, marocains, nigérians ou sénégalais avaient respecté l’âme du football africain qui est synonyme d’inspiration, de liberté et de goût inné pour le jeu offensif, les Ghanéens – hier, surnommés les Brésiliens de l’Afrique - ont tourné le dos à leur spécificité, abandonné toute créativité dans le jeu et joué la carotte.
Dès la CAN en Angola, Milovan Rajevac, l’entraîneur serbe du Black Star, avait annoncé la couleur : « Vous voulez du beau jeu ? Moi, je veux gagner. Nous ne sommes pas là pour faire du spectacle. » Avec une profession de foi aussi réaliste, il ne fallait s’attendre à prendre son pied avec le Ghana.
L’effectif choisi par Rajevac comporta 9 mondialistes 2006 dont trois finalistes du Championnat du monde de la Fifa pour les moins de 20 ans de 2001. A l’exception de Michaël Essein blessé, étaient présents en Afrique du Sud tous les talents actuels du Ghana. Conformément à sa conception du jeu, Rajevac opta pour un schéma tactique connu sur le Vieux Continent. Une défense musclée à quatre éléments pratiquant la surveillance de zone et le recul fuite (John Pantsil, John Mensah, Jonathan Mensah ou Isaac Vorsah et Hans Sarpei), un écran défensif permanent (Anthony Annan), deux milieux relayeurs (Kevin Prince Boateng et Kwadwo Asamoah), deux faux ailiers (Prince Taggoe ou Samuel Inkom et Andre Ayew) et un attaquant de pointe (Asamoah Gyan). Dès la perte du ballon, c’est le repli massif avec la constitution d’un double rideau défensif (4 arrières plus 5 milieux) ; le seul Gyan restant devant.
Une fois, le ballon récupéré, les milieux tentent de le remonter en passes courtes latérales, les faux-ailiers se replacent dans les couloirs et Gyan fait des appels en profondeur. La remontée se fait souvent assez lentement, et quand elle progresse, elle se bloque à l’entrée de la surface adverse. La construction devient approximative, laborieuse, sans aucune fluidité. Les Ghanéens donnent l’impression de jouer les uns après les autres. L’essentiel des actions offensives se résume à des centres expédiés sans préparation des ailes, à des tirs de loin ou des tentatives de percée individuelle de Gyan. Logique dans ce cas que l’efficacité offensive soit parcimonieuse : deux buts consécutifs à des accidents de jeu face à la Serbie et à l’Australie, deux tirs cadrés qui font mouche (face aux Etats-Unis et à l’Uruguay), une reprise de volée opportuniste de Gyan favorisée par une grossière erreur de son coéquipier du Stade Rennais, l’Américain Carlos Bocanegra. Au total, 5 buts en 5 matchs (contre 4 en 2006 en quatre matchs). En 1990, le Cameroun en avait totalisé 7 tout comme le Sénégal en 2002. Rappelons que le Ghana, finaliste de la CAN en Angola, n’a marqué que 4 buts en 5 matchs.
Comparez maintenant les bilans chiffrés des huit quarts de finaliste : Uruguay, 6 buts marqués ; Pays-bas, 7 ; Brésil, 5 ; Argentine, 7 ; Allemagne, 5 ; Paraguay, 3 ;et Espagne, 4 et Portugal, 7 et Ghana, 4. Avant d’aborder le quart de finale, l’Uruguay aura fait mieux que le Ghana (il a, entre autres, éliminé l’Afrique du Sud : 3-0). Et constatons que jusque-là, le Ghana ne s’est imposé que contre des seconds couteaux : Serbie (1-0), Etats-Unis (2-1) et qu’il fut dominé par l’Allemagne (1-0). Autant d’éléments qui auraient incité à ne pas en faire le favori de sa confrontation avec l’Uruguay.
Les coéquipiers de Diego Forlan, en première période, dominèrent le Black Star avant de concéder un but à Muntari. Ils égalisèrent par…Forlan. Et combien même leurs ressources physiques s’amenuisèrent au fil des minutes, les hommes de Rajevac ne parvinrent pas à les déséquilibrer. Et puis survint l’incident de la 120è minute. Un coup franc peu évident est accordé aux Ghanéens par l’arbitre portugais Benquerenca. Pantsil le boote. Cafouillements et confusion dans la surface. L’attaquant Luis Suarez, replié sur sa ligne de but, smashe le ballon. Penalty et carton rouge. La double sanction prévu par les Lois du jeu. Gyan, sans doute peu concentré, s’avance et frappe, le ballon s’écrase sur la latte. Le concours des coups de pied arrêtés est clôturé par une superbe panenka de Sebastian Abreu.
Mauvais perdant, Gyan élude sa responsabilité dans l’essai raté et s’en prend à Suarez : « Il va être le héros et ce n’est pas vraiment honnête ! » Les larmes du Rennais ne nous a pas ému. Lors du tournoi, ce joueur s’est comporté – revoyez tous les matchs – en parfait …égocentre. Il a joué pour lui, se mettant rarement à la disposition des partenaires venus le soutenir. Il a joué à la Drogba, en individualiste patenté. Rappelez-vous le comportement du vétéran Roger Milla en Italie et même celui d’El Hadji Diouf en Corée et analysez à la loupe celui de Gyan en Afrique du Sud…. Et riez quand M. Claude Leroy affirme que Gyan est un « mélange d’Eto’o et de Drogba ! ».
C’est aussi l’occasion de mettre en valeur l’excellent état d’esprit dont a fait preuve André Ayew. Certes, Andre n’a pas tous les gènes de son père (Abedi Pelé), mais il a mis toutes ses qualités au service du collectif, cherchant avant tout à construire, perdant rarement le ballon. Dévoué, intelligent et surtout correct, même s’il écopé de cartons qui l’ont privé du quart de finale.
On ne peut en dire autant de Kevin-Prince Boateng. Voilà le prototype de « voyou du gazon ». On se rappelle, qu’avant le Mondial, il avait « assassiné », au cours de la finale de la Coupe d’Angleterre, l’Allemand Ballack, le privant de compétition. On n’oublie pas comment il a brocardé son frère Jérôme Boateng, lors d’Allemagne - Ghana ainsi que tous les coups qu’il a généreusement distribués à ses adversaires et toutes les injures qu’il a proférées (les ralentis de la télé sont accablants). Ses coéquipiers Sulley Muntari et Stephen Appiah ont, de leur côté, fait preuve d’une indicible désinvolture. Des fausses stars qui auront desservi une équipe dont la principale force fut l’esprit de corps. Ajoutez-y la générosité dans l’effort et l’obéissance aux consignes d’un entraîneur qui communique par l’intermédiaire d’un interprète. Des qualités morales et physiques certes, mais pas assez d’atouts techniques et d’intelligence manœuvrière pour culbuter les obstacles.
En ce qui concerne le jeu, le football ghanéen, comme tant d’autres, n’a pas réglé depuis 1992 son problème de complexe vis-à-vis de l’Europe. Les aspirations de ses joueurs ne correspondent pas toujours à la vision des techniciens venus d’Europe.
Conserver son identité, ses aspirations et trouver son style propre donnant sa pleine mesure à ses qualités spécifiques, voilà le défi que devront relever les Ghanéens et leurs frères d’Afrique pour 2014.

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